Une lettre de 72 spécialistes en science, politique et pratique de la nicotine adressée à l’Organisation Mondiale de la Santé

72 spécialistes de la nicotine ont en début de mois adressé à l’OMS, et son Président Dr Adhanom Ghebreyesus, une lettre (initialement en anglais) pour exposer leurs craintes concernant le manque de considération de la réduction des risques,  via notamment la cigarette électronique, dans la Convention-Cadre pour la lutte Antitabac, CCLAT.

 

Organisation Mondiale de la Santé

 

Cher Dr Adhanom Ghebreyesus,

Innovation dans la lutte antitabac : développer la CCLAT pour inclure la réduction des méfaits du tabac

Nous vous écrivons pour exprimer notre espoir que l’OMS jouera un rôle de chef de file dans la promotion de politiques efficaces et à action rapide pour réglementer le tabac et la nicotine. Dans cette lettre, nous proposons que l’OMS et les parties prenantes concernées adoptent une approche plus positive à l’égard des nouvelles technologies et des innovations susceptibles de mener plus rapidement à terme l’épidémie de maladies causées par le tabagisme.

Dans le domaine de la lutte antitabac et de la santé publique, le monde a beaucoup changé depuis la signature de la Convention-Cadre pour la Lutte Antitabac en 2003. Il est impossible d’ignorer ou de nier l’essor des Systèmes Alternatifs d’Administration de Nicotine (ANDS : Alternative Nicotine Delivery Systems). Il s’agit de technologies établies et nouvelles qui délivrent la nicotine à l’utilisateur sans combustion de la feuille de tabac et sans inhalation de fumée de tabac. Ces technologies offrent la perspective de gains significatifs et rapides en matière de santé publique grâce à la « réduction des risques liés au tabac ». Les utilisateurs qui ne peuvent pas ou choisissent de ne pas cesser de consommer de la nicotine ont la possibilité de passer des produits à risque élevé (principalement les cigarettes) à des produits qui présentent, au-delà de tout doute raisonnable, un risque beaucoup plus faible que les produits du tabac (p. ex. les produits de nicotine pure, les produits du tabac sans combustion à faible toxicité et les produits du tabac vaporisés et chauffés). Nous pensons que cette stratégie pourrait apporter une contribution substantielle à l’Objectif de Développement Durable visant à réduire le nombre de décès prématurés dus à des maladies non transmissibles (Objectif 3.4 des SDG, Sustainable Development Goal).

Le concept de réduction des méfaits du tabac est codé dans la définition de la  » lutte antitabac  » énoncée dans la CCLAT (article 1.d), et nous croyons qu’il doit maintenant être pleinement exprimé dans la CCLAT et par les Parties dans leur approche à la mise en œuvre. A cette fin, nous vous proposons quelques principes directeurs à prendre en considération pour l’élaboration de la prochaine phase de la lutte mondiale contre le tabagisme, à partir de la prochaine Conférence des Parties (COP-8, 1-6 octobre, Genève).

– La réduction des méfaits du tabac fait partie intégrante de la lutte antitabac. La réduction des risques est une stratégie largement pratiquée dans le domaine de la santé publique (p. ex. VIH, consommation de drogues, santé sexuelle) et devrait faire partie intégrante de la lutte antitabac – aider les fumeurs à cesser de fumer ou les dissuader de commencer et, dans les deux cas, réduire considérablement leur risque.

– Du point de vue de la santé, la principale distinction entre les produits à base de nicotine est qu’ils sont combustibles ou non combustibles. Il ne s’agit pas de savoir s’il s’agit de produits du tabac ou non, s’ils sont établis ou nouveaux. Étant donné que la CCLAT est principalement axée sur la gestion des risques pour la santé, cette distinction devrait faire partie intégrante de la conception et de la mise en œuvre de la CCLAT.

– La réduction des méfaits du tabac est favorable et synergique avec les politiques  » MPOWER  » qui sous-tendent la CCLAT. En offrant aux usagers des options plus diversifiées pour réagir aux taxes ou à d’autres mesures, la réduction des méfaits peut améliorer l’efficacité des mesures conventionnelles et atténuer les conséquences néfastes non intentionnelles de ces politiques pour les usagers persistants, par exemple l’impact des taxes sur les cigarettes sur les personnes qui, autrement, continueraient à fumer.

– Les intervenants devraient accorder l’importance voulue aux avantages et aux possibilités de la réduction des méfaits du tabac. Ils ne devraient pas se concentrer exclusivement sur les risques inconnus pour la santé, surtout lorsqu’il s’agit de risques mineurs ou improbables. Une occasion manquée de gain en matière de santé publique représente un préjudice réel pour la santé publique et devrait être reconnue comme telle.

– L’adoption par les jeunes de tout produit du tabac ou de la nicotine exige une stratégie cohérente et adaptable axée sur la réduction des méfaits actuels et futurs pour les jeunes. Les politiques relatives à l’usage de la nicotine chez les jeunes devraient être fondées sur la compréhension des comportements à risque chez les jeunes, les interactions entre l’usage de différents produits (par exemple, pour certains jeunes fumeurs, le remplacement potentiel du tabac par des produits à faible risque peut être bénéfique), en tenant dûment compte de l’équilibre global des méfaits et des avantages pour les adultes et les jeunes découlant des interventions.

– L’incertitude quant aux effets à long terme ne devrait pas être une raison de paralysie. Il est vrai que nous ne disposerons pas d’informations complètes sur les impacts des nouveaux produits avant qu’ils n’aient été utilisés exclusivement pendant plusieurs décennies – et étant donné la complexité des modèles d’utilisation, il se peut que nous ne le fassions jamais. Mais nous avons déjà suffisamment de connaissances fondées sur les processus physiques et chimiques en cause, la toxicologie des émissions et les biomarqueurs d’exposition pour être certains que ces produits non combustibles seront beaucoup moins nocifs que le tabac. Nous savons aussi avec certitude que le produit existant (cigarette) est extrêmement nocif.

– La CCLAT et sa mise en œuvre devraient englober une  » réglementation proportionnée au risque « . Cela signifie que la rigueur de la réglementation ou de la taxation appliquée aux catégories de produits doit refléter les risques pour la santé. Par exemple, il devrait y avoir des taxes élevées sur les cigarettes, mais peu ou pas de taxes sur les produits du vaping. Il est raisonnable d’interdire toute publicité pour les produits combustibles, mais de contrôler la publicité pour les produits non combustibles (pour protéger les jeunes qui ne fument jamais, en particulier) et de permettre ainsi une promotion suffisante pour que les fumeurs puissent encore apprendre à connaître les alternatives et être encouragés à changer. Cette approche proportionnée aux risques devrait être adoptée dans l’ensemble de la CCLAT.

– L’OMS et les Parties à la CCLAT devraient être conscientes des conséquences néfastes non intentionnelles des interdictions ou de la réglementation excessive et veiller à les éviter. Si les politiques approuvées par l’OMS rendent les alternatives non combustibles au tabagisme moins facilement accessibles, moins appétissantes ou acceptables, plus chères, moins favorables aux consommateurs ou pharmacologiquement moins efficaces, ou inhibent l’innovation et le développement de produits nouveaux et améliorés, alors ces politiques peuvent causer des dommages en perpétuant le tabagisme.

– Les négociations de la CCLAT devraient être ouvertes à un plus grand nombre de parties prenantes. Il y a de nombreux intervenants, y compris les consommateurs, les médias et les experts en santé publique qui sont favorables à la réduction des méfaits, qui devraient participer au processus. Nous sommes préoccupés par le fait que la CCLAT a exclu des perspectives suffisamment diverses et que ses délibérations et ses décisions pourraient être plus solides et crédibles si ses travaux étaient plus ouverts. Nous craignons que l’OMS et le Secrétariat de la Convention n’adhèrent pas à ces principes et, dans de nombreux cas, font le contraire. Nous avons vu la lettre plus détaillée qui vous a été adressée le 3 septembre par Abrams et al. concernant l’interdiction et la réglementation excessive. Nous recommandons que cette lettre soit lue attentivement par tous ceux qui s’intéressent à l’avenir de la lutte antitabac.

Nous croyons qu’il est temps que la lutte contre le tabagisme englobe la réduction des méfaits du tabac. Nous espérons que l’OMS et les Parties à la CCLAT feront avancer ce programme à la huitième Conférence des Parties à la CCLAT, à compter d’aujourd’hui. Nous partagerons cette lettre avec les intervenants concernés.

Les auteurs de la présente lettre confirment qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts en ce qui concerne l’industrie du tabac et qu’il n’y a pas de questions concernant l’article 5.3 de la CCLAT.

Sincèrement vôtre,

 

source : Clive Bates

Laisser un commentaire